Mon clin d’œil

« Si on ne peut plus imposer de frais accessoires, peut-on mettre des machines à sous dans nos salles d’attente ? »

— Les médecins

OPINION

Regard tronqué sur le salaire minimum

En réaction au texte de Pierre-Yves McSween, « Regard oblique sur le salaire minimum », publié mercredi.

Pierre-Yves McSween, nouveau gourou des finances personnelles, se permet quelques jugements sur la hausse du salaire minimum. Si nous pouvions espérer un texte pour mieux comprendre les impacts d’une telle hausse sur la vie des premiers intéressés, cette attente ne sera finalement pas comblée. Au lieu de cela, M. McSween nous sert une apologie du monde entrepreneurial et de ses valeurs.

Comme cet auteur commence à nous y habituer, l’analyste, au moment de réfléchir à un enjeu de portée publique, ne doit jamais inscrire son propos dans une compréhension des structures sociales. À quoi bon tenter de comprendre le marché du travail, ses limites, ses contradictions et les raisons pour lesquelles, laissées à elles-mêmes, les entreprises produisent des emplois qui confinent des centaines de milliers de salariés à la pauvreté ? McSween préfère plutôt enjoindre ces travailleurs à se rendre « indispensables, spécifiques et uniques » pour ainsi faire du salaire minimum une lointaine réalité.

Les problèmes sociaux sont toujours simples sous la plume de M. McSween. Chaque fois, la solution s’impose d’elle-même : la responsabilité individuelle.

Malheureusement, la vie sociale est plus complexe et appelle à des questionnements autrement plus poussés qu’un simple calcul comptable. Le fait que plus de 210 000 personnes au Québec travaillent au salaire minimum ne serait pour McSween que le résultat d’une « masse d’employés prêts à travailler à des conditions d’entrée sur le marché du travail ». Il existerait au Québec « plusieurs modèles d’affaires [qui] sont basés sur une faible rémunération des employés peu spécialisés » et à lire le comptable, il semble qu’il faille s’en réjouir. D’un côté, il y aurait des gens à la recherche d’emplois mal rémunérés et, de l’autre, des entreprises qui comptent sur ces perles rares pour rentabiliser leurs activités.

Bien entendu, la réalité ne correspond pas à la description que nous offre M. McSween. Non seulement est-il déplacé d’aborder les enjeux de la pauvreté et des travailleurs pauvres comme si tout ceci ne découlait que de choix individuels et d’ainsi faire l’impasse sur la nature inégalitaire et souvent prédatrice des rapports économiques sous le capitalisme, mais il est encore plus troublant de voir la facilité avec laquelle celui qui occupe cette posture moralisante colporte des données erronées sur les effets d’une hausse du salaire minimum.

Le comptable affirme que l’on finira par nuire aux personnes que l’on cherche à aider en évoquant l’éventualité d’un choc tarifaire des prix. Il donne l’exemple d’un repas du midi à la cafétéria et pose la question suivante : si ce repas, qui coûte actuellement 10 $, montait à 13 $, est-ce que les gens déserteraient la cantine au profit d’un lunch préparé à la maison ? Peut-être. Or, comme l’incidence d’une hausse du salaire minimum aurait, selon nos calculs, un impact sur les prix variant entre 1,1 % et 2,6 %, on se demande bien à quoi rime cet exemple. Suivant une hausse, ledit repas pourrait ainsi voir son prix atteindre 10,11 $ ou au plus 10,26 $. De plus, nous démontrions dans une étude publiée avant les Fêtes qu’une hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure aurait un impact positif sur 98 % des personnes touchées par la mesure.

On peut donc en déduire que tant sur le plan de l’inflation que sur celui de l’emploi, une hausse importante du salaire minimum aiderait concrètement un nombre important de gens.

Enfin, M. McSween parvient à nier le problème même de la pauvreté avec le raisonnement suivant :

1) Une personne qui travaille temps plein au salaire minimum gagne moins de 25 000 $ par année. 2) Selon les données de l’Institut de la statistique du Québec, 43 % des Québécois ont déclaré en 2013 un revenu inférieur à cette somme. 3) Avez-vous l’impression que 43 % des Québécois sont pauvres ? Non, bien moi non plus.

Voilà qui est dit. En quelques traits de crayon, c’est le problème de la pauvreté qui disparaît. Pour les plus défavorisés, les personnes handicapées, les gens peu scolarisés, les mères de famille monoparentale et tout ce que notre société peut compter de gens qui en arrachent, le message est clair. Vos vies réelles, vos difficultés, les fois où vous avez tout donné, mais que votre entreprise a fermé à la suite d’une délocalisation : tout cela n’a pas d’intérêt.

Pourquoi faire du chichi avec la complexité des faits sociaux ? Pourquoi, par exemple, tenter de voir en quoi le taux de chômage à 6,6 % crée un déséquilibre dans le marché du travail au détriment des chercheurs d’emplois ? Pourquoi réfléchir aux structures de ce marché ainsi qu’aux rapports de pouvoir qui y prennent place ?

Ce sont pourtant, selon nous, des questions que l’on doit poser impérativement.

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